Article de Charlotte Fauve
Photographies Jean-Luc de Laguarigue pour Télérama
La générosité luxuriante de la végétation à la Martinique est stupéfiante.
Il suffit de s’arrêter simplement en bordure des chemins et déjà elle offre ce qu’elle a de plus fertile, abondant, touffus, si près, à porter de la main et du regard.
La contempler et c’est un peu de Césaire ou d’Asturias qui me remonte à l’esprit et au cœur, « quand j’ouvre la cage de mes paupières »....
« Justice au paysage ! C’est lui le crieur encore lui »
Pour son dernier livre Le vent du Nord dans les fougères glacées, Patrick Chamoiseau a utilisé la photographie de Joseph Tandavarayen remontant, accompagné de son âne, le morne vers son jardin créole. Papillon, car c’est ainsi qu’il se nomme, ayant pour charge le transport du fumier à la montée et, au retour, la récolte de la moisson.
La photographie a été réalisée en 1999 au morne des Esses, sur les hauteurs de Sainte-Marie là où se situe l’action du roman, la vie de Bouliano.
Au moment de son choix Patrick Chamoiseau n’était pas informé du lieu où la photographie a été faite.
Néanmoins si ce détail reste anecdotique, de l’image il dira :
« Lorsque je découvris cette photo, il y a déjà quelques années, ce qui m’est venu à l’esprit c’est que cet homme pourrait parfaitement être un conteur. Pourquoi ? D’abord, parce que c’était sociologiquement plausible. Ensuite, parce qu’il y a dans cette captation toute la poésie archaïque de son accoutrement, les vieilles hardes, le mulet, le bât, le chargement de l’animal… Ce sont des choses que l’on ne voit pratiquement plus. Ensuite, il y a la dimension poétique de la scène. On dirait qu’il émerge d’un brouillard spectral. Enfin, il y a toute l’intensité végétale qui remplit le fond autour de lui, et que la petite pluie transforme en un paysage de légende. Cela donne un paysage de plantes complètement emmêlées, paysage très particulier, très étrange et en même temps très familier, quelque chose d’onirique…
La composition de cette photo crée un effet poétique qui me paraît correspondre à l’état d’esprit supposé des grands conteurs anciens. Au moment où ces derniers se trouvaient dans le prosaïque de leurs tâches quotidiennes, ils devaient cultiver une rêverie permanente, développer ainsi un imaginaire créatif extrêmement puissant…
Dans cette photo, M. de Laguarigue a réussi la transfiguration d’un paysage ordinaire, la transfiguration d’une simple remontée de jardin. Et comme nous savons que les photographes sont ceux qui voient et qui révèlent ce qui nous est invisible, ce que nous ne voyons pas, il était clair pour moi que ce bougre en haillons était potentiellement un conteur. C’est en regardant longtemps cette photo que j’ai pu imaginer le vieux conteur, Bouliano Nérélé Isiklaire, qui allait mourir dans « Le vent du nord… »
Il nous est de moins en moins donné à voir, il est vrai, sur nos routes et dans les campagnes, un agriculteur accompagné de sa bête ; scène de vie qui faisait encore partie de notre quotidien dans les années quatre-vingt.
L’âne ou le mulet peut être utilisé parfois sur les mornes là ou la voiture, le Pick-up ou « la bachée », comme on dit chez nous, n’a plus accès.
Un photographe ne fait jamais une seule photo d'un sujet même si celle qu’il choisit de diffuser vient en quelque sorte avaler les autres. Travaillant toujours par série et le temps passant, 24 années maintenant depuis la première parution de cette image dans mon livre Tracées de Mélancolies (édité en 2000—épuisé), je suis retourné à l’examen de ma planche contact. J’y redécouvre les deux images suivantes qui viennent en quelque sorte boucler la boucle : le passage de profil et toujours sous la pluie de Joseph et Papillon, ou l’on note la synchronisation du pas de l’homme et celui de la bête, ainsi que leur peine.
La dernière image est celle ou la montée du morne se termine, la pluie a soudainement cessé comme c’est souvent le cas ici. L’image est en contre-jour, le ciel est encore chargé, le poids pour l’animal, augmenté de celui de l’eau, semble plus lourd. La récolte n’est plus loin et l’épreuve, pour un moment, arrive à son terme.
© jean-luc de Laguarigue, tous droits réservés
En 2014 je publiais l’ouvrage Nord-Plage, Requiem pour une île.
De retour sur les lieux il y a peu, je redécouvre le quartier, dans sa partie haute et basse, qui est totalement évacué, les maisons détruites.
Reste le chemin de croix et la vierge,
quelques carrelages,
le vent et son charroi de sel.
Au pied d’une falaise, dans un sous-bois autrefois riche de sa végétation, face à une plage étendue et chaude donnant accès à une mer accueillante, calme, comme le permet cette cote sous le vent, l’hôtel s’y est installé pour ne vendre « que du bonheur ».
Aujourd’hui il semblerait que « le bonheur », sa rentabilité et son cortège d’absurdité, s’en soit allé laissant en place un désastre.
Un photographe est passé par là, l’aurais-je suivi ?
Le jardin, bungalow et chambres |
Maison d'accueil, case traditionnelle |
Maison d'accueil, case traditionnelle |
chambres et panneaux de circulation |
Couloir et annonces "nouvelles rencontres" |
Salle de réception |
Couloir de circulation vers la plage |
Bureau annexe du bar |
Annonce sur baie vitrée d'une chambre |
Panneau informations vers le bar |
"Que du bonheur" tableau photos, souvenirs des activités décembre 2013 |
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Un coin du bar |
Chambre sur la plage, informations |
Baie vitrée, chambre sur la plage |
La piscine en bord de plage |
Entrée piscine |
Un corpus photographique de Jean-Luc de Laguarigue, réalisé sur plusieurs années (1992, 1995, 2014, 2020) autour des vestiges de la cité martiniquaise détruite par l'éruption de la montagne Pelée en 1902. Le travail se compose de plus de cinquante images principalement en noir et blanc réalisé en partie avec une chambre numérique.
Le point de vue et les lumières ont été déterminés avec soins afin de permettre des retouches qui, pour certaines images s'avèrent indispensables. Je nomme retouche les interventions qui ont permis en post-production d'enlever les pollutions visuelles (antennes, poubelles, voitures) autant d'éléments peu adaptés à l'histoire de la ville détruite et à la beauté intrinsèque des ruines.
En septembre 2023 décision sera rendue pour un possible classement de la montagne Pelée et des pitons du Carbet au Patrimoine Mondial de l' UNESCO.
À suivre...
1902 , la ville détruite |
Statue, la renaissance de Saint-Pierre (© de Jouvray 1928) |
Vestiges du théatre, 1995 |
Vestiges du théatre, 1995 |
Vestiges du théatre, 1995 |
Vestiges d'habitation rue Victor Hugo, 2014 |
Retrouvées sous la cendre, les couleurs de Saint-Pierre, 2014 |
Maison de santé, reste de carrelage, 2014 |
Les pavés de Saint-Pierre, 1995 |
Les grands voiliers dans la rade, 2002 |