samedi 12 décembre 2015

Mémoire-miroir d'enfance / 5

Longtemps cette haute demeure de pierres et de bois a su garder tous ses mystères ; son parfum fait d’un léger mélange d’encaustique et de naphtaline, d’exhalaison de bois humides se mélangeant aux essences montant du verger, n’était pas sans m’émouvoir. Sa position dominante sur son plateau la rendait aussi fraîche que lumineuse. Les larges clayettes des persiennes filtraient la lumière qui portait leurs ombres en forme de découpe d’un clavier imaginaire et les murs épais gardaient une fraîcheur constante. Une brise douce coulait de ses couloirs.
Je l’ai connu sans eau courante à l’étage. Les salles de bains étaient alimentées par des brocs en zinc rempli dans la salle des jarres. Pièce magnifique et remarquablement aérée, elle était constituée d’une batterie de jarres d’Aubagne qui servaient, dans les premiers temps, aux transports des marchandises d’Europe. Assemblées de manière ingénieuse, elles recueillaient en permanence l’eau de pluie ; le trop-plein versait dans des canaux pour l’arrosage du jardin. Enfant, debout dans les étroits espaces qui séparaient les différents blocs, le jeu était de s’asperger, à l’aide de casseroles, de cette eau froide et vivifiante ; parfois un crapaud égaré d’un bond craintif semait la terreur. Un point d’eau relié à une citerne était installé près de l’escalier de service. J’étais trop petit pour atteindre le robinet. J’aimais voir ma grande mère pomper la citerne quand il n’y avait plus d’eau au robinet. Elle tombait alors dans un fracas frappant en force éclaboussures le lourd évier de zinc. J’en récoltais, pour mon bonheur, quelques gouttes sur le visage.

Au loin j’entendais les décharges de pression de vapeur de  l’usine qui, par un effet de corne de brume, laissait croire à un navire prêt à appareiller. La nuit, elle sifflait aux alarmes de la sirène, le souffle d’une bête informe porté par le vent ; c’était bon d’avoir peur, maman n’était pas loin. J’ai aimé cette maison ; la douceur de Marguerite, les mangôts trop mûrs et leur juteux parfum, l’orangeade de Paule.

©Jean-luc de Laguarigue

vendredi 4 décembre 2015

Mémoire-miroir d'enfance / 4



La plage de l’Anse Cafard était plus grande, plus étendue, plus nue aussi. Plus loin vers le bourg, elle était encore ornée des gommiers posés sur leurs rondins de bois que les pêcheurs roulaient jusqu’à la vague. La mise à l’eau était toujours un moment d’émotion et de joie.À leur retour, la langouste — coupeuse de filets — était offerte pour un peu de poissons acheté.

J’ai aimé le petit matin quand la lumière sur la mer tissait ses fils d’argent, la vague qui meurt et vous roule sur la grève, le sable mouillé en pâté dans la main ruisselante et les jeux pour un temps infini.

J’ai aimé la nuit, le bruit des rouleaux et la douceur du vent.
Par les soirées de pleine lune, les feuilles des grands résiniers projetaient sur la terre des ombres incertaines et vite tourner la tête quand, d’un léger mouvement sur le sol, la peur montait.


© Jean-Luc de Laguarigue, Mémoire d'enfance
 
 Et pour mon frère :
"À l’époque, une femme jeune comme Maman, avec des enfants en bas âge, pouvait rester toute seule dans un endroit isolé comme le Diamant, sans que ça ne pose de problème. De plus Les pêcheurs nous ravitaillaient à domicile. Ce n’est pas le chien Charley, le cocker que m’avait donné Maurice, qui nous aurait protégés. On ne pouvait pas courir sans qu’il essaie de nous mordre, bien sûr, c’était pour jouer, mais quand on est gamin, c’est stressant. 
 
Je crois que Papa ne montait que le week-end, je me souviens qu’on allait à sa rencontre sur la route avec Maman, ça pouvait nous arriver de marcher assez loin. Parfois, il ramenait un journal Tintin, c’était alors un vrai bonheur.
 
Un jour, il est arrivé complètement affolé, il fallait repartir tout de suite parce qu’un cyclone était annoncé. J’ai dû suivre le mouvement la mort dans l’âme, j’étais sûr qu’il ne se passerait rien du tout. Maintenant, je ne me souviens pas du tout de ce qui s’est passé réellement.
 
Sur la plage de l’Anse Cafard, il y avait les restes d’une vieille chaudière à moitié enfouie sous le sable, elle provenait sans doute d’un bateau qui avait coulé anciennement.
On jouait souvent autour de sa superstructure, mais au fil des ans, cette chaudière s’est enfoncée tout doucement jusqu’à disparaître complètement sous la plage et nous l’avions oublié. Et puis le cyclone Allen de 1980 l’a exhumé en partie, en retrouvant ses morceaux de ferraille délaissés, une bouffée de souvenirs m’est revenue d’un seul coup, c’était très étrange.

Aussi sauvage que le zagayak qui zigzague pour regagner son trou et se cacher, la chaudière a très rapidement disparu, dérisoire, immémorée et perdue."