On peut avoir de nos îles caribéennes une image paradisiaque de vacances, d’un climat privilégié, de la douceur des alizés, de couleurs chatoyantes… bref. Cela n’est certes pas faux, mais “partiel, parcellaire et partial”, doudouiste même et, souvent, stupidement publicitaire. Car on oublie trop vite la fureur du climat de nos régions, les pluies ravageuses et l’Histoire, violente, dont la tragédie a forcé la naissance de nouveaux peuples.
Ici, nous sommes en Guyane, aux îles du Salut, sur l’île Royale et juste devant les vestiges du “bain des forçats”. En face, c’est l’île du Diable où l’on fit construire la cellule qui deviendra l’enfer de Dreyfus. L’accès en est aujourd’hui formellement interdit. L’accostage, rendu possible autrefois par un câble tendu entre les deux terres, y est particulièrement difficile à cause des courants dangereux.
Malgré mes demandes d’autorisation répétées auprès du CNES (qui a la charge de l’entretien des lieux), le refus a été sans appel. Seuls quelques marins chevronnés, connaissant particulièrement bien la côte et les marées, peuvent y accéder. Il faut également être bon nageur et posséder un équipement parfaitement étanche pour le matériel photographique, car la mise à l’eau se fait obligatoirement à un point précis. De plus l’île, peu entretenue aujourd’hui, est devenue une cocoteraie sauvage. Les palmes qui tombent et s’accumulent forment une véritable patinoire.
J’ai tenu à ce que cette image soit la première de l’ouvrage Bagne, volontairement en noir et blanc, en guise de préface visuelle. On peut sentir le mouvement léger de la brise dans les palmes et le bain des forçats — aujourd’hui villégiature pour touristes — semble bien tranquille dans son reste de bassin de pierres.
On ne cesse de se demander ce que cette petite île, éclairée au loin par les derniers rayons du soleil couchant, peut bien avoir d’inquiétant…
=> Photo extraite du livre "Bagne" (Jean-Luc de Laguarigue/Patrick Chamoiseau, éd. Gang 2011)