On peut avoir de nos îles caribéennes une image paradisiaque de vacances, d’un climat privilégié, de la douceur des alizés, de couleurs chatoyantes… bref. Cela n’est certes pas faux, mais “partiel, parcellaire et partial”, doudouiste même et, souvent, stupidement publicitaire. Car on oublie trop vite la fureur du climat de nos régions, les pluies ravageuses et l’Histoire, violente, dont la tragédie a forcé la naissance de nouveaux peuples.
Ici, nous sommes en Guyane, aux îles du Salut, sur l’île Royale et juste devant les vestiges du “bain des forçats”. En face, c’est l’île du Diable où l’on fit construire la cellule qui deviendra l’enfer de Dreyfus. L’accès en est aujourd’hui formellement interdit. L’accostage, rendu possible autrefois par un câble tendu entre les deux terres, y est particulièrement difficile à cause des courants dangereux.
Malgré mes demandes d’autorisation répétées auprès du CNES (qui a la charge de l’entretien des lieux), le refus a été sans appel. Seuls quelques marins chevronnés, connaissant particulièrement bien la côte et les marées, peuvent y accéder. Il faut également être bon nageur et posséder un équipement parfaitement étanche pour le matériel photographique, car la mise à l’eau se fait obligatoirement à un point précis. De plus l’île, peu entretenue aujourd’hui, est devenue une cocoteraie sauvage. Les palmes qui tombent et s’accumulent forment une véritable patinoire.
J’ai tenu à ce que cette image soit la première de l’ouvrage Bagne, volontairement en noir et blanc, en guise de préface visuelle. On peut sentir le mouvement léger de la brise dans les palmes et le bain des forçats — aujourd’hui villégiature pour touristes — semble bien tranquille dans son reste de bassin de pierres.
On ne cesse de se demander ce que cette petite île, éclairée au loin par les derniers rayons du soleil couchant, peut bien avoir d’inquiétant…
=> Photo extraite du livre "Bagne" (Jean-Luc de Laguarigue/Patrick Chamoiseau, éd. Gang 2011)
mercredi 15 février 2012
mercredi 1 février 2012
Lecture de photos : le camp de la transportation
Pour bénéficier de la belle lumière matinale dans nos régions, je commence toujours ma journée de bonne heure chaque fois que j’entreprends un nouveau travail photographique.
J'étais à Saint-Laurent-du-Maroni depuis peu, quand j'ai ouvert ma fenêtre au petit matin vers cinq heures. Je n'en ai pas cru mes yeux. Une épaisse fumée ceinturait l'horizon, je distinguais à peine le fleuve et je pensais qu’un sérieux incendie faisait rage non loin. J'imaginais la ville bientôt en flammes, mais le calme qui régnait me fit vite réaliser qu’il s’agissait simplement d’un épais brouillard, venant du fleuve et de la probable alchimie de son énorme masse d’eau combinée à la forte chaleur. Je me suis alors précipité vers les vestiges du camp de la transportation, étant convaincu qu'il devait y avoir là un élément nouveau dont je devais tirer partie pour réaliser l'image que j’avais en tête du lieu où était placée la guillotine.
J'ai aussitôt ressenti l’épaisseur de l’atmosphère, comme matérialisée, qui ajoute à la crasse, à la lourdeur de l’enceinte grise et noire — à l’angoisse du condamné. Le temps de mettre l’appareil sur pied, il était déjà six heures. Les premiers rayons du soleil perçaient, dissipant rapidement ce rideau d’artifice. Je n’ai eu que le temps de prendre cette photo. L’instant d’après, un ciel bleu et profond effaçait tous ces fantômes d’ombres et installait la journée. De tout mon séjour, jamais occasion ne m’a été redonnée de revoir une telle brume en Guyane.
La photographie ci-dessous est le pendant de la précédente. À vrai dire, je ne sais plus laquelle vient avant l’autre, et cela n’a pas beaucoup d’importance. Le bagne est construit selon des modules (quartiers) similaires et répétitifs qui, séparés par une grille, répartissent les hommes en fonction de la hiérarchie de leur peine.
Un détail cependant m’a frappé : « détail » qui, de fait, renforce l’horreur du lieu. Observez cette image : dans le fond, juste avant la grille de séparation, on distingue une petite construction circulaire. C'est le puits, la seule réserve d’eau.
Sur la première photo, il n’apparaît pas bien que le même espace circulaire soit pensé, prévu et spécifiquement réservé à l’emplacement de la guillotine. Celle-ci était érigée face à la bâtisse des cuisines, elle-même adossée au mur d’enceinte. Si l’image précédente a été réalisée au petit matin, celle-ci à l’inverse est faite à la tombée du jour quand le ciel est encore embrasé mais qu’aucun rayon du soleil n'éclaire plus nulle part. Ainsi on obtient le même effet de grisaille lourde. Les deux photos assemblées ou “appareillées” symbolisent pour moi le temps, celui de l’attente du condamné face à l’impensable, avant l’exécution capitale.
=> Photos extraites de l'ouvrage "Bagne" (Jean-Luc de Laguarigue/Patrick Chamoiseau, éd. Gang 2011)
J'étais à Saint-Laurent-du-Maroni depuis peu, quand j'ai ouvert ma fenêtre au petit matin vers cinq heures. Je n'en ai pas cru mes yeux. Une épaisse fumée ceinturait l'horizon, je distinguais à peine le fleuve et je pensais qu’un sérieux incendie faisait rage non loin. J'imaginais la ville bientôt en flammes, mais le calme qui régnait me fit vite réaliser qu’il s’agissait simplement d’un épais brouillard, venant du fleuve et de la probable alchimie de son énorme masse d’eau combinée à la forte chaleur. Je me suis alors précipité vers les vestiges du camp de la transportation, étant convaincu qu'il devait y avoir là un élément nouveau dont je devais tirer partie pour réaliser l'image que j’avais en tête du lieu où était placée la guillotine.
Brume, petit matin, camp de la transportation, Guyane
J'ai aussitôt ressenti l’épaisseur de l’atmosphère, comme matérialisée, qui ajoute à la crasse, à la lourdeur de l’enceinte grise et noire — à l’angoisse du condamné. Le temps de mettre l’appareil sur pied, il était déjà six heures. Les premiers rayons du soleil perçaient, dissipant rapidement ce rideau d’artifice. Je n’ai eu que le temps de prendre cette photo. L’instant d’après, un ciel bleu et profond effaçait tous ces fantômes d’ombres et installait la journée. De tout mon séjour, jamais occasion ne m’a été redonnée de revoir une telle brume en Guyane.
La photographie ci-dessous est le pendant de la précédente. À vrai dire, je ne sais plus laquelle vient avant l’autre, et cela n’a pas beaucoup d’importance. Le bagne est construit selon des modules (quartiers) similaires et répétitifs qui, séparés par une grille, répartissent les hommes en fonction de la hiérarchie de leur peine.
Puits, tombée du jour, camp de la transportation, Guyane
Un détail cependant m’a frappé : « détail » qui, de fait, renforce l’horreur du lieu. Observez cette image : dans le fond, juste avant la grille de séparation, on distingue une petite construction circulaire. C'est le puits, la seule réserve d’eau.
Sur la première photo, il n’apparaît pas bien que le même espace circulaire soit pensé, prévu et spécifiquement réservé à l’emplacement de la guillotine. Celle-ci était érigée face à la bâtisse des cuisines, elle-même adossée au mur d’enceinte. Si l’image précédente a été réalisée au petit matin, celle-ci à l’inverse est faite à la tombée du jour quand le ciel est encore embrasé mais qu’aucun rayon du soleil n'éclaire plus nulle part. Ainsi on obtient le même effet de grisaille lourde. Les deux photos assemblées ou “appareillées” symbolisent pour moi le temps, celui de l’attente du condamné face à l’impensable, avant l’exécution capitale.
=> Photos extraites de l'ouvrage "Bagne" (Jean-Luc de Laguarigue/Patrick Chamoiseau, éd. Gang 2011)
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