jeudi 31 octobre 2019

Mémoire-miroir d'enfance : le canal de la Dillon

La digue et la distillerie au fond

Pour alimenter le canal et la digue, un piquage avait été fait sur la rivière Monsieur du côté de la Meynard. Il y avait aussi des riverains qui faisaient des piquages sauvages avec des bambous dans les berges pour s’alimenter en eau.
Tous les ans pendant l’intercampagne, il fallait faire de gros travaux d’entretien sur ce canal. C’était compliqué parce qu’il n’y avait pas d’accès autrement qu’à pied. Il fallait transporter à dos d’homme des sacs de ciment, des tôles et toutes sortes d’outils.

Le contremaître se plaignait beaucoup des cyriques qui creusaient des galeries dans les berges en terre et les faisaient s’effondrer en créant des fuites. Je me souviens de ces crabes d’eau douce, jaunes et noires, que je voyais souvent étant enfant sur les bords de la digue.

Mon père disait toujours qu’il fallait attendre les pluies de la Toussaint avant de commencer les travaux, sinon il aurait fallu tout refaire.

Je me souviens qu’il y avait des glouglous en abondance, mais il n’en restait déjà presque plus à la fin de mon adolescence. De grandes grappes de glouglous ornaient souvent le salon de ma grand-mère, ou les buffets chez nous.

L'entrée du canal

Ma première remontée de rivière se fit avec Biron qui me montra le chemin. Souvent je l’accompagnais. Passé mes 10 ans, un peu plus aguerri, j’y allais seul avec mon appareil de photo.
Un jour, encore enfant, mon frère se souvient qu'arrivés à un endroit où la rivière était large et peu profonde, à son grand étonnement, ils découvrirent une cabane en bois au milieu de la rivière. Il y avait là un homme avec qui ils engagèrent la conversation. Ce type était payé par mon grand-père pour mesurer le débit de l’eau. Il avait un instrument avec une hélice qui trempait dans l’eau et l’hélice tournait plus ou moins vite en fonction du débit. Cette hélice était reliée par une sorte de dispositif à une plume qui traçait un graphe sur du papier quadrillé. 
Notre grand-père aimait bien ce genre de truc, il aurait sans doute adoré les ordinateurs.

Le canal et ses berges

Après la création de la cité Montgéralde, le canal et ses alentours sont devenus impropres et plus entretenus. Des bœufs et des cochons ont été lâchés dans la nature. Les cochons ont fouillé les touffes de bambous qui retenaient les berges. Un bus a été vidangé dans la rivière et l’huile a encrassé les pompes et les chaudières de l’usine. Il y avait un coiffeur qui s’était installé dans la cité juste au-dessus du canal et qui balançait toutes ses ordures dans l’eau.

Depuis le temps est passé et le canal a été définitivement fermé, l’usine ne fonctionne plus, l’urbanisme a rongé la nature.

Je ne m’y balade plus depuis de nombreuses années, le lieu m’est devenu étranger. Je regarde mes photos.

Le canal et ses touffes de bambous
                                                                      Végétation sur les berges




mardi 29 octobre 2019

Mémoire-miroir d'enfance 2019-1

Martinique années 40.
Ramassage d’écrevisses dans la digue de la Dillon.
Celle-ci servait de réserve d’eau pour l’alimentation des chaudières de la distillerie. La digue se remplissait par le canal de la rivière Monsieur et pouvait parfois être trop chargée en boue. Une à deux fois par an elle était vidée pour curage, ce rituel devenait une fête et rassemblait le voisinage pour le ramassage des écrevisses. J’ai connu cela jusqu’à la fin des années soixante. Ce que vous voyez derrière est le Morne Dillon, aujourd’hui totalement construit.


La photographie précédente a été prise depuis la fenêtre du premier étage de la maison d’habitation que l’on voit sur l’image ci-dessous, datée de 1917. Cette maison, construite en remplacement de celle détruite par l’ouragan de 1898, vient de la ville de Saint-Pierre. Démontée planche par planche, puis remontée à la Dillon, elle fut ainsi sauvée de la catastrophe de 1902.


Ici sur une photographie peinte des années 30, on découvre un autre point de vue de la digue, l'amorce du verger et au fond la cheminée de la distillerie. C'était encore la campagne et la ville était loin.


jeudi 17 octobre 2019

Chris Jordan, Photaumnales à Beauvais. (Article Télérama).

Chris Jordan,Midway: Message from the Gyre, 2009.

Ce voyageur ailé qu’on ne reconnaît pas, gisant mort sur le sable, c’est un albatros, ou plutôt un jeune albatros : quelques plumes éparses, des os blanchis par l’action conjuguée du soleil et du sel, et beaucoup de plastique. Cette image fait partie d’une série réalisée par le photo­graphe Chris Jordan dans l’atoll de Midway, une fine bande de corail et de sable au milieu du Pacifique Nord, entre Amérique et Asie, devenu un véritable cimetière pour ces oiseaux, jadis fous d’azur.
Ce sont ses parents qui l’ont empoisonné. Vastes oiseaux des mers, ils rapportent à leur progéniture briquets, bouchons, brosses à dents… qui flottent à la surface de l’eau.
Chris Jordan prend bien soin de ne rien modifier de ce qu’il découvre sur place, de ne rien déplacer ni rien ajouter à cette terrible réalité. Des dizaines de milliers de ces jeunes oiseaux meurent chaque année dans ce petit archipel. La démarche de photographe est militante et tend à dénoncer les travers de la société de consommation dans chacune de ses créations.
Au large de l’atoll, les courants tournants et les vents créent un piège dans lequel se retrouve une immense quantité de rejets. Cette plaque de déchets ou vortex d’ordures, qui double tous les dix ans et atteint au­jourd’hui une superficie supérieure à celle de la France, ne condamne pas que les oiseaux. Sa dégradation formant un substitut au zooplancton, elle empoisonne les organismes marins et fragilise la biodiversité. Seul un changement radical de nos comportements pourrait les sauver. 
Le travail de Chris Jordan est présenté dans le cadre des Photaumnales de Beauvais où une quarantaine de photographes dénoncent les dommages causés par l’activité humaine. Des images saisissantes d’inventivité. 

Retrouvez dans Télérama et sur telerama.fr la critique de Luc Desbenoit.


À voir: Terra Nostra, le temps de l’anthropocène, 16e édition des Photaumnales, Beauvais (60), jusqu’au 5 janvier. Entrée libre. Rens. : 03 44 15 67 00. ©Chris Jordan