© jean-luc de laguarigue. Odile 1953, le Diamant |
L’arrière plage de l’anse Caffard, toujours plus fraîche par l’ombre des grands arbres qui la bordait, était constituée d’un mélange de sable, d’algues séchées, de petits bois morts et d’amas de feuilles. Les raisiniers s’y prolongeaient tirant de longues langues vertes courant au sol. La végétation était très dense dans cette région reculée et peu construite. L’image nous montre ici, en ce lieu, une fillette simplement attentive à ce qu’elle tient entre les doigts mais, chose étrange, comme séparée de son entour, apparue.
Qu’est ce qui fait qu’une photographie nous touche ou retienne notre attention ? Par quelle porte y entre-t-on ? Que nous dit-elle ? Elle qui ne marque que des signes, sans mot, dans un profond silence. Que nous donne-t-elle à voir ? Rien de particulier dans celle-ci ne se produit et pourtant elle ne cesse de m’intriguer. Est ce simplement par ce cadrage bien construit parce qu’en premier lieu le photographe a eu l’intuition de se baisser et de se mettre à hauteur de l’enfant ? La plage paraît légèrement surélevée sur sa crête et la mer bien plus reculée . Cette photographie d’album de famille est de dimension carrée d’usage commun pour cette époque. Ce format à la particularité d’induire un cercle imaginaire qui tourne à l’intérieur de l’image et qui ici, de par la disposition des éléments, ramène le regard au centre de l’image, à la main de l’enfant. Sa robe gonflée lui donne une belle assise, on croirait cependant qu’elle flotte tel un lutin. Elle est encadrée par deux objets vides, un jouet en bois trop grand pour sa taille et un transat ou il n’y a personne. Ces deux éléments s’opposent, l’un par son horizontalité, l’autre par sa verticalité. Leur position participe à la dynamique et à la composition du moment. La fillette est placée sur la diagonale de l’image et visuellement son corps prend appuie sur la ligne directrice que forme le manche du petit véhicule, la position de son bras amorce une parallèle en prolongement de la deuxième arrête de la brouette formant ainsi pour le regard un nouveau point d’appui. La douce pente de la colline vient fermer cette première moitié de l’ensemble. L’arrière-plan est habité, dans le dernier tiers du visuel, par le transat face à la mer dont le repose-bras crée une ligne directrice vers le morne Larcher tandis que son siège ferme l’horizon, le bord de son tissu forme une agréable courbe qui vient répondre à celle tranquille « de la dame couchée » rejoignant le ciel et l’eau. Maintenant je comprends que le point central de l’image est bien la main de l’enfant qui observe ce qu’elle tient et que je ne peux saisir : sa baguette de fée peut-être ? Mais cela a sans doute peu d’importance parce que par son geste, c’est son univers que d’une poussière de sable elle crée, le créant elle m’y conduit et me ramène à mes premiers enchantements.
Les grandes lèches de végétal en masses, informes, brunes et brûlées laissent présager un danger potentiel, mais en bataille avec elles-mêmes nous feignons de les ignorer tandis que la lumière vient, diffuse, enveloppante, sans ombre portée, former un écran diaphane qui confère à l’image son caractère d’irréalité indéfinissable ; comme un rêve pourtant vécu, jamais saisi.
Il est tout aussi bien venu que la chaise longue soit vide, elle marque une absence qu’une présence humaine ferait surnuméraire dans cet univers de songe, en même temps elle nous invite à y prendre place pour la contemplation ou la méditation.
L’enfant nous rappelle les chemins oubliés, là où nous ne savons plus aller.
La photographie cogne, ensorcelante, à nos mémoires défaites, envoûtante.