©jean-luc de laguarigue. Hector Biron chez lui |
Dans cette nuit de mercredi à jeudi qui suivit les
cérémonies de la Toussaint, je crus le croiser, encore jeune, allant le pas
tranquille au marché de Fort-de-France. Je m’approche alors pour prendre de ses
nouvelles et lui dire ma joie d’enfant de le rencontrer. Il me répond que cela
ne va pas très bien pour l’heure mais qu’il garde espoir, puis il se défait de
son bakoua qu’il me pose affectueusement sur la tête et disparaît brusquement
dans la foule sans que je puisse avoir le temps de le suivre. Je me réveille en
sursaut avec cette certitude que je me répète à moi-même : « il est
mort, sa fille va bientôt m’appeler ». À ma montre, je vois que le jour
est encore loin de se lever et j’essaie, dans mon agitation, de me rendormir.
C’est à 11 heures du matin que Flavie m’appellera : « papa est
parti cette nuit ». Après son bref appel je me demande si j’ai encore
rêvé. Je vérifie que son numéro est bien affiché sur le journal et à mon tour
je cherche à lui parler de nouveau pour savoir si j’ai bien compris. Hector
Biron est mort dans son sommeil cette nuit, chez lui. La veillée aura lieu
vendredi à 18 h 30 et l’enterrement samedi 5 novembre 2016 à l’église de Saint
Christophe. Au mois de mai il venait d’avoir cent ans.
Enfant, Biron fut mon guide, c’est par lui que j’ai connu le
monde rural et que plus tard je pus approcher la complexité intérieure de la vie sur
une plantation. Mon univers photographique et plus particulièrement mon travail
sur les portraits lui doivent beaucoup. Plus tard dans la poésie de forlonge de Césaire, c’est lui qui,
sans le savoir, m’en fera recevoir une de ses possibles perceptions.
Il est né pendant la Grande
Guerre
Il sera soldat pour la seconde,
Il connaîtra la guerre d’Algérie
Il subira le fait colonial
Labitation
« Debout à la verticale parmi les griffures du
vent »
Il pratiquera la charrue avant l’automobile
Et les longues marches vers le Marin
Il aura la lampe à pétrole avant l’électricité
Et dans sa nappe d’huile, la fumée noire du lumignon
Il goûtera le kanari sur les trois pierres
Le coco sec en boucan
Et la préparation du cochon à la rivière Monsieur
Il saura le maigre couchage
Le sol en terre battue
Et la victoire de l’amour
Il vivra le jardin créole
La préparation de la nasse
Et la pêche au curage de la digue
Il me dira, enfant, être né sous une bonne étoile
Que son nom dont la première lettre est B
S’accorde avec les plaisirs du Bien, de Bonbon, Bondieu,
Bonda, Béké, Biron
Et son rire en éclat me donne encore tant de joie.
Il avait la lumière, la dignité, le partage
Des grands héros sachant inventer leur propre vie.
Intègre en maître des chemins
Aujourd’hui dévêtue de ta peau d’homme
Vers un soir de constellations, tu t’avances sans colère.
Jean-Luc de Laguarigue
4 novembre 2016
Jean-Luc de Laguarigue
4 novembre 2016
©jean-luc de laguarigue. Hector et Marie-thérèse Biron |