Je l’ai connu sans eau courante à l’étage. Les salles de bains étaient alimentées par des brocs en zinc rempli dans la salle des jarres. Pièce magnifique et remarquablement aérée, elle était constituée d’une batterie de jarres d’Aubagne qui servaient, dans les premiers temps, aux transports des marchandises d’Europe. Assemblées de manière ingénieuse, elles recueillaient en permanence l’eau de pluie ; le trop-plein versait dans des canaux pour l’arrosage du jardin. Enfant, debout dans les étroits espaces qui séparaient les différents blocs, le jeu était de s’asperger, à l’aide de casseroles, de cette eau froide et vivifiante ; parfois un crapaud égaré d’un bond craintif semait la terreur. Un point d’eau relié à une citerne était installé près de l’escalier de service. J’étais trop petit pour atteindre le robinet. J’aimais voir ma grande mère pomper la citerne quand il n’y avait plus d’eau au robinet. Elle tombait alors dans un fracas frappant en force éclaboussures le lourd évier de zinc. J’en récoltais, pour mon bonheur, quelques gouttes sur le visage.
Au loin j’entendais les décharges de pression de vapeur de l’usine qui, par un effet de corne de brume, laissait croire à un navire prêt à appareiller. La nuit, elle sifflait aux alarmes de la sirène, le souffle d’une bête informe porté par le vent ; c’était bon d’avoir peur, maman n’était pas loin. J’ai aimé cette maison ; la douceur de Marguerite, les mangôts trop mûrs et leur juteux parfum, l’orangeade de Paule.
©Jean-luc de Laguarigue |